Une tombe du sylvicole inférieur à Sillery

Votre capsule historique hebdomadaire : Une tombe du sylvicole inférieur à Sillery

La dernière moitié des années 1960 vient bouleverser le paysage du bord de fleuve à Québec, mais principalement de Sillery. C’est l’époque des grands travaux routiers, de la volonté du Québec d’entrer dans la modernité en construisant des autoroutes. Nous entrons de plain-pied dans l’ère de l’automobile. Et qui dit automobile, dit alors « besoin de routes ». Avec l’accroissement démographique qui accompagne l’après-guerre, Québec et sa région vivent un boum immobilier important : l’exode rural amène les fils et les filles de cultivateurs en périphérie de la capitale nationale. C’est ainsi que Sainte-Foy passe d’une petite municipalité concentrée autour de la route de l’Église à une banlieue d’importance en accueillant les nouveaux arrivants des campagnes de la Rive-Sud. Charlesbourg et Beauport font de même avec ceux qui viennent du Saguenay et du Lac-Saint-Jean et de la Côte-de-Beaupré. Pour permettre à ces nouvelles banlieues de prospérer, pour amener leurs populations vers le centre-ville, en absence d’un transport en commun bien organisé, il faut des routes. L’une de celles-ci, qui va relier le centre-ville de Québec aux ponts (n’oublions pas que l’on construit alors ce qui sera le pont Pierre-Laporte, mais aussi l’autoroute 20) est le boulevard Champlain. Ce long boulevard va s’inscrire entre la falaise (celle de Sillery et le cap Diamant) et le fleuve. Cette autoroute va changer le paysage : les plages de Sillery (plage du Foulon et plage Victoria) disparaissent, la Pointe-à-Puiseaux doit être coupée pour laisser assez de place pour plusieurs voies automobiles dans chacune des directions.

Éléments du collier de perles cylindriques de cuivre.

Dans la partie est du chemin du Foulon, allant de la Pointe-à-Puiseaux (dite alors Pointe-à-Pizeau par les gens de Sillery) jusqu’à la côte Gilmour, de nombreuses maisons sont détruites, dont celle qui se situait au-dessus de l’ancienne maison de Pierre de Puiseaux. On doit aussi faire disparaître les deux dernières maisons de la côte. En creusant la roche, les ouvriers mettent à jour des ossements et des objets enterrés avec le corps. Il faut alors faire venir la brigade criminelle afin de vérifier si le corps retrouvé est mort récemment de mort violente. Celui-ci est accompagné d’un des premiers archéologues québécois. Rapidement, on s’aperçoit que le corps est ancien, probablement même d’avant l’arrivée des Européens sur le territoire. La police part, mais l’archéologue reste… peu de temps, car il ne faut pas retarder les travaux du boulevard Champlain ! Nous sommes au début de la Révolution tranquille, le Québec est en marche vers l’avenir et la modernité ! L’archéologue n’a pour faire son travail que quelques heures avant la reprise des travaux de construction : la voûte de la tombe s’écroule avant qu’un plan précis soit établi, qu’une partie des objets qui se trouvent sur le site soient pris par des employés et par la compagnie. Finalement, en moins d’une journée, il ne reste plus de traces de cette tombe. Malgré cela, le travail de l’archéologue se fait, mais hors du secteur de fouilles, dans ce qui sera les premiers laboratoires d’archéologie du Québec. Après étude des ossements et du matériel funéraire, il est possible d’avancer une période plutôt qu’une date précise pour la sépulture. Elle date du Sylvicole inférieur, donc vielle entre 2 500 et 3 000 ans.

Regardons pour commencer où se trouve cette tombe du Sylvicole inférieur. Située au bas du cimetière Mount Hermon, sur la basse terrasse de la falaise. Pour mieux nous situer, la sépulture se trouvait à une hauteur de 35 mètres, sur la falaise schisteuse si caractéristique de la falaise de Sillery, mais aussi à plus de 300 mètres du fleuve. La tombe est ensevelie sous deux mètres, mais aussi de deux strates : la première, plus ancienne, composée de sable ; la seconde, plus récente, de schiste. Selon certains, mais ce n’est rien de certain puisque nous n’avons pas de preuve matérielle, une autre sépulture se trouvait l’est de la première, à près de 20 mètres. On ne saura probablement jamais si cette tombe a vraiment existé, ni même ce qu’elle contenait. Concentrons-nous donc sur la première tombe.

Pièces pédonculaires bifaciales trouvées sur le site du boulevard Champlain.

Celle-ci était probablement celle d’un dignitaire, probablement d’un chef. L’étude des os laisse à penser qu’il (car c’est le corps d’un homme) serait mort alors qu’il était dans la quarantaine. Le corps était enveloppé dans une couverture d’écorce de bouleau, cousue probablement de lanières, ce que prouvent des trous réguliers tout au long de la « couverture ». Selon les résidus qui se trouvent dans cette enveloppe, on peut croire que l’homme avait eu des peaux d’animaux comme linceul avant d’être enveloppé dans l’écorce. C’est une première preuve de l’importance qu’avait le mort. Une deuxième preuve est le collier ayant de 5 à 12 rangs de perles de cuivre qui était sur le squelette. En fait, ce sont près de 1 300 perles cylindriques, soutenues par une lanière de cuir et un médaillon en triangle. Mis bout à bout, cet ouvrage pourrait atteindre la longueur de quatorze mètres. Pendant quelques années, squelette et collier se sont retrouvés en laboratoire d’archéologie à Montréal, puis retournés, il y a quelques années à Québec. Si des morceaux du collier sont bien identifiés et dans les collections du Musée de la civilisation, le squelette est plus difficile à localiser. Il serait lui aussi dans les collections du Musée de la civilisation.

Reste aussi à bien identifier les lieux où se trouve le matériel funéraire. Certains objets se trouveraient encore sous la chaussée du boulevard Champlain. Sera-t-il retrouvé lors de la phase III de la promenade Samuel-de Champlain ? D’autres se trouveraient dans des « collections privées » d’ouvriers du chantier. Le siège social de Komo Construction avait, dans son entrée jusqu’aux années 1970, certains objets d’exposés. Et bien sûr, certains furent utilisés dans un laboratoire d’archéologie de Montréal.

 

 

Finalement, le Service d’archéologie du ministère des Affaires culturelles (maintenant le ministère de la Culture et des Communications) a pu inventorier une partie seulement de ce qui se trouvait dans la première tombe : un squelette, un collier de perles de cuivre, une « couverture » d’écorce de bouleau, des débris de lanières de cuir et de peaux qui ont enveloppé le corps, des poteries, des pipes nasales ou tubulaires en pierre polie, un gorgerin (protège-cou), et des pierres taillées. Que ce soit des pointes de flèches, des lames, des briquets ou des haches, tout le matériel lithique était fait selon la même méthode, celle de la taille bifaciale. Cependant, les matériaux qui ont servi à cette taille sont multiples : quartzite, calcédoine, chert et grès. En fait, ce sont des dizaines et des dizaines d’objets qui nous révèlent une partie de la culture autochtone d’il y a 2 500 à 3 000 ans. Mais ce sont aussi des objets importants qui démontrent une partie de la spiritualité du peuple qui, à l’époque, occupait le territoire de la vallée du Saint-Laurent. Ces objets, qui devaient assurer le bien-être du mort après son décès, sont maintenant dispersés aux quatre coins du Québec : certains objets non répertoriés sont encore dans le sous-sol où il a été originellement mis, d’autres dans des entrepôts appartenant au ministère de la Culture et des Communications et au Musée de la civilisation. D’autres étaient au siège social de Komo Construction chez les familles des ouvriers qui ont découvert la tombe et dans des collections de particuliers et d’archéologues. Si certains objets sont toujours à Québec, d’autres sont à Montréal, au Saguenay ou ailleurs, mais aucun n’est exposé à Sillery. Le corps, qui aurait dû être remis en sépulture selon des rites propres à la remise en terre des squelettes d’autochtones, repose dans une boîte anonyme. Ce qu’il reste de ce qui a été « l’une des plus importantes découvertes archéologiques » québécoises de l’époque n’est plus qu’un simple souvenir pour certains. Et pourtant, l’étude de l’ensemble du matériel funéraire de la tombe pourrait nous en apprendre davantage sur un peuple qui vivait sur nos rives, avant même l’arrivée des Iroquoiens du Saint-Laurent.

 

Bibliographie :

GAUMOND, Michel. Boulevard Champlain Ce-ET-2. Dossier de la section inventaire. Service d’archéologie, ministère des Affaires culturelles, 1967

L’HEUREUX, Gaston. « Découverte d’une sépulture indienne datant de 2,500 ans ». Le Soleil, 23 juillet 1966.

VALLÉE, Jean-Louis. « Une sépulture amérindienne à Sillery », Cap-aux-Diamant, Vol. 1, No 1 (printemps 1985), p. 37-38