Capsule historique spéciale : la Guerre en Ukraine – 10 ans depuis le début de l’Euromaïdan

Les 28 et 29 novembre 2013 se tient à Vilnius un sommet pour le partenariat oriental auquel devaient participer notamment les 28 membres de l’Union européenne ainsi que les six autres pays du partenariat oriental; l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Moldavie, l’Arménie, la Biélorussie et l’Ukraine.[1] Par ce partenariat, les membres de l’Union européenne souhaitent créer des liens économiques solides dans un objectif d’indépendance économique vis-à-vis la Russie. Ce partenariat est une première étape vers une intégration européenne grandissante de l’Ukraine.

Pour Moscou, ce partenariat est intolérable. Pendant les mois d’octobre et de novembre 2013, Vladimir Poutine organise deux rencontres secrètes avec le Président ukrainien Ianoukovitch. Poutine propose un prêt de 15 milliards de dollars ainsi qu’une baisse considérable des tarifs de gaz pour l’Ukraine si Ianoukovitch ne signe pas l’accord à Vilnius. Le Président ukrainien tentera de faire monter les enchères en révélant à l’UE la possibilité que l’Ukraine signe un accord avec la Russie. Cependant, il se dit bien ouvert au partenariat européen si l’UE accepte de « compenser » les pertes qu’entrainerait le partenariat si Moscou décide de réduire les échanges commerciaux avec Kiev. Celui-ci estime qu’une somme supérieure à celle offerte par la Russie, environ 20 milliards de dollars, devra être offerte en prêts à l’Ukraine pour que le partenariat soit ratifié par son gouvernement.[2] Les représentants européens ne cédant pas à son chantage, la délégation ukrainienne ne se présente pas pour la signature de l’accord, ni pour le Sommet.[3]

L’Union européenne perçoit ce chantage comme étant un manque de valeurs européennes et un manque de volonté de démocratisation pour l’Ukraine de Ianoukovitch alors que la société civile estime qu’un rapprochement avec la Russie représente la dégradation de l’appareil démocratique, la suppression de l’opposition politique, la détérioration des droits et libertés et la montée de la corruption.[4] Le Sommet de Vilnius agit alors comme catalyseur sur une société civile déjà échaudée par son gouvernement et son président qui s’était fait élire sur des promesses de rapprochement avec l’Europe, de transparence et d’augmentation du niveau de vie pour la classe moyenne et inférieure.

Le Maïdan : De manifestations pacifiques aux affrontements armés

Les premières manifestations commencent avant le Sommet de Vilnius, le 21 novembre 2013, lorsque Ianoukovitch commence à exprimer des réserves quant au Partenariat oriental. Le mouvement prend cependant énormément d’ampleur lors de l’annonce de la non-signature de l’accord et l’acceptation de l’offre du Kremlin. Le Maïdan devient un mouvement de masse à partir du 30 novembre et ne cessera de prendre de l’ampleur jusqu’à la fuite de Ianoukovitch le 21 février 2014.[5] Depuis le tout début, le Maïdan est un mouvement social, mené par des citoyens sans allégeance politique pour la majorité (92% selon un sondage mené au début du mois de décembre 2013).[6] Le mouvement ne fût pas démarré par les partis de l’opposition mais bien par des activistes sociaux ainsi que des étudiants. Au mois de décembre 2013, environ 18% des manifestants viennent d’un milieu rural et environ la moitié des manifestants viennent de Kiev. En février 2014, 88% des manifestants viennent d’ailleurs au pays pour manifester leur insatisfaction vis-à-vis le régime.[7] On distingue dans le mouvement 3 groupes différents. Le premier groupe est constitué des jeunes et des étudiants, qui se réclament être les initiateurs du mouvement. Ils expriment leur colère vis-à-vis le gouvernement et la génération avant eux qui a laissé le régime échoué dans ses tentatives de démocratisation. Le deuxième groupe est formé d’adultes déjà sur le marché du travail. Ils estiment quant à eux être les piliers du mouvement et avoir un poids politique plus important que les jeunes et les étudiants comme ils représentent les travailleurs et les votants de la société civile. Le dernier groupe est constitué de retraités qui se voient comme les gardiens du mouvement. Ils estiment que c’est leur devoir de manifester pour tous ceux qui travaillent, étudient, et pour ceux qui sont dans l’incapacité de se déplacer pour exprimer leur mécontentement. L’âge moyen sur le Maïdan est de 36 ans et les hommes sont un peu plus nombreux que les femmes, représentant environ 59% des manifestants.[8] Ayant chacun des points de vue différents, les manifestants de tous les groupes s’entendent cependant sur certaines demandes primordiales : tous désirent des changements au gouvernement, de profondes réformes politiques, contre la corruption, et économiques, vers l’Union européenne.[9]

À partir du 23 novembre 2013, plusieurs dizaines de milliers de personnes manifestent sur la place de la Révolution à Kiev. Il s’agit du plus gros rassemblement social depuis la Révolution orange de 2004. Les premières interventions policières violentes auront lieu dans la nuit du 29 au 30 novembre. L’unité spéciale de la police ukrainienne, les Berkut, envahit la place centrale de Kiev. Une dizaine d’étudiants seront battus et agressés par les Berkut. L’annonce de cet incident au matin du 30 novembre fera descendre dans la rue davantage de citoyens, environ 100 000 manifestants au total. Des femmes avec leurs enfants se joignent notamment aux manifestants pour demander l’arrêt de la violence.

À partir de ce moment, les occupants du Maïdan commencèrent également à ériger des barricades et à développer une armée de volontaires étant capables et voulant défendre le mouvement. Une deuxième tentative pour déloger les manifestants et démanteler leurs barricades aura lieu dans la nuit du 9 au 10 décembre 2013. Le 17 décembre, ignorant tout des réclamations du Maïdan, Ianoukovitch signe avec le Président Poutine un accord Russie-Ukraine formé de « 14 accords de coopération économique, commerciale, gazière et industrielle […] en plus d’une allocation de crédit de 15 milliards de dollars par Moscou. »[10]

La violence contre les manifestants augmente sans cesse et le 22 janvier, le premier manifestant est tué par les forces spéciales. Avec un pays qui est déjà au bord de la guerre civile, le 20 février, Ianoukovitch autorise les forces spéciales à tirer à balles réelles sur les manifestants. Les snipers ainsi que les forces spéciales feront en cette unique journée 82 morts et plus de 600 blessés. À la suite de cette journée, et craignant pour sa vie, Ianoukovitch s’enfuit discrètement dans l’Est.[11]

Le Maïdan a finalement atteint son but de renverser son gouvernement, il laisse toutefois l’Ukraine avec une profonde division est-ouest et le bilan est plutôt sombre, entre le 30 novembre 2013 et le 20 février, plus de 100 personnes perdirent la vie, dont au moins quinze officiers de police, en plus des 1000 blessés.[12]

À peine sortie de ses manifestations, l’Ukraine connaitra un autre mouvement de contestation, cette fois-ci dans l’est du pays, qui sera d’abord reconnu comme un Anti-Maïdan. Ces manifestations commencèrent à la suite d’une décision mal calculée du nouveau gouvernement À Kiev. En effet, le 23 février, le parlement vote le retrait du statut de langue officielle au russe. Les russophones de l’est du pays et de la Crimée – encouragés par le Kremlin – commenceront à se lever comme les manifestants l’ont fait à Kiev.[13] Ces manifestations seront à l’origine d’un mouvement beaucoup plus important qui entrainera l’annexion de la Crimée et l’est du pays dans une guerre qui fait rage depuis bientôt dix ans. Avec les changements de gouvernement à Kiev, Moscou avait une occasion en or pour envahir son voisin et rencontrer très peu de résistance. Les autorités compétentes étant quelque peu paralysées par les changements, l’invasion de la Crimée s’est faite sans échanger de coup de feu, à partir du 27 février 2014.

Sophie Marineau, doctorante en histoire des relations internationales

Institute for the Analysis of Change in Contemporary and Historical Societies

Université catholique de Louvain, Belgique

Références

[1] Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, L’Ukraine : Entre déchirements et recompositions, L’Harmattan, Paris, 2015, p.25

[2] Op. Cit. Galia Ackerman

[3] Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, p.28

[4] Op. Cit. Rilka Dragneva, Kataryna Wolczuk, p.89-90-95

[5] Olga Onuch, « Maidans Past and Present : Comparing the Orange Revolution and the Euromaidan » in David R. Marples, Frederick V. Mills (Eds.) Ukraine’s Euromaidan, Analyses of a Civil Revolution, Ibidem Press, Stuttgart, 2015, p.34

[6] Viktor Stepanenko, « Ukraine’s Revolution as De-Institutionalisation of the Post-Soviet Order » in Viktor Stepanenko, Yaroslav Pylynskyi (eds), Ukraine after the Euromaidan, Challenges and hopes, Peter Lang, Berne, 2015, p.38-39

[7] Anna Chebotariova, « Voices of Resistance and Hope : On the Motivations and Expectations of Euromaidaners » in David R. Marples, Frederick V. Mills (Eds.) Ukraine’s Euromaidan, Analyses of a Civil Revolution, Ibidem Press, Stuttgart, 2015, p.167

[8] Op. Cit. Olga Onuch, p.47

[9] Op. Cit. Anna Chebotariova, p.172

[10] Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, p.32-33

[11] Op. Cit. Galia Ackerman

[12] Iryna Demisheva, Anastasiya Kolomoyets, « Construction of Reality in the Context of Signing the Agreement about Regulation of the Crisis in Ukraine on 21 February 2014 » in European Journal of Transformation Studies, 2014, Vol. 2 N°1, p.27

[13] Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, p.41