Le remarquable noyer noir hybride de la famille Graddon : un arbre vénérable, un fleuron du patrimoine horticole de Sillery

Texte: Suzanne Hardy, ENRACINART
Photos: Claire Morel, ENRACINART

À l’extrémité ouest du site patrimonial de Sillery (anciennement l’arrondissement historique de Sillery) on trouve les vestiges d’un ancien grand domaine qui était autrefois bordé par une côte qui s’est appelé « Kilmarnock’s Hill » puis « Graddon’s Hill ». Au cœur de cette vaste propriété d’autrefois, un magnifique noyer noir hybride se développe depuis environ 140 ans, sur un promontoire où se trouvait probablement, jadis, un verger ou, à tout le moins, quelques arbres fruitiers. Ce noyer « tout à fait particulier » est probablement le fruit d’une hybridation spontanée entre deux spécimens appartenant à deux races locales (selon la provenance des plants) distinctes de noyer noir ou à deux espèces voisines de noyer…Pas étonnant, car ici, tout autour, il y a un siècle et demi, on cultivait des vergers et des arbres à noix. Il n’était pas rare de voir, à cette époque, les marchands de bois cultiver de façon expérimentale, des arbres dont le bois était d’une grande valeur. L’un d’entre eux, d’ailleurs, Richard Reid Dobell, cultivait une noiseraie noire sur son domaine de 35 acres de Beauvoir, voisin de Kilmarnock, dont il avait fait l’acquisition fin-juin 1871, auprès de la veuve de Henry LeMesurier qui avait été, lui-aussi, marchand de bois de son vivant!

 

Noyer hybride-Kilmarnock, photo Claire Morel, Enracinart
Noyer hybride-Kilmarnock, photo Claire Morel, Enracinart
Noyer hybride-Kilmarnock, photo Claire Morel, Enracinart
Noyer hybride-Kilmarnock, photo Claire Morel, Enracinart

Ce vénérable noyer, qui appartient à la « classe » des feuillus nobles, a connu les mœurs de nombreuses personnes ayant appartenu à plusieurs générations de familles bourgoises, descendantes de riches marchands, et/ou de grands propriétaires terriens de Sillery.

L’histoire commence dès la fin du 18e siècle avec Murdoch Stuart (1737-1821) qui était trésorier de l’armée britannique de James Wolfe. Il est demeuré à Québec après la Conquête, a été démobilisé et il est ensuite devenu marchand en s’associant à Zacharias McAulay. En 1765, il a épousé Marie-Angélique Cartier (1746-1810), fille aînée de Jacques Cartier et de Marguerite Mongeon. Il s’agit là du premier mariage franco-anglais de la colonie.

Les enfants de Murdoch Stuart (on écrit aussi Murdock Stewart) et de Marie Jeanne-Angélique Cartier étaient Angelica Stuart (1765-1829), Mary Stuart  ainsi que 9 autres enfants. Six des onze enfants ont été baptisés selon la religion protestante tandis que les cinq autres ont été baptisés selon la religion catholique. C’est ce que nous apprend Marcel Fournier dans son ouvrage : Les premières familles anglo-canadiennes issues des mariages mixtes au Québec 1760-1780. Société de recherche historique Archiv-Histo : http://www.archiv-histo.com/index.php

Dès que nous avons découvert cet arbre d’envergure, avec sa silhouette de noyer noir, ma collègue Claire Morel d’ENRACINART et moi, il y a environ une trentaine d’années, nous savions que nous étions en présence d’un véritable trésor! Et ce, d’autant plus que la dernière douzaine d’arbres vestiges de la noiseraie noire qui existait autrefois, sur la propriété de Beauvoir, étaient sur le point d’être abattus, sous prétexte d’aménager un stationnement…Les fleurs femelles de ce spécimen étaient regroupées par cinq sur ses rameaux, détail jamais observé auparavant, sur le noyer noir dont les fleurs se retrouvent par paires ou en trios. De plus, ces fleurs étaient coiffées de stigmates papilleux colorés, roses ou rouges, alors que chez le noyer noir, les stigmates sont le plus souvent de couleur blanc verdâtre. 

En 1796, Murdoch Stuart avait découpé à même l’arrière-fief de Monceaux dont il était propriétaire, un vaste domaine destiné à sa fille Angelica, alors déjà âgée d’une trentaine d’années. Cette propriéré était située à l’est d’une très ancienne côte de Sillery, tracée à l’époque de la Nouvelle-France : de nos jours, cette dénivellation est connue sous le nom de côte à Gignac.

À l’époque, Angelica Stuart avait déjà épousé, en 1787, David Ross (vers 1755-1810) né à Ross & Cromarty, en Écosse, d’une famille bien nantie qui possédait des plantations de coton en Guyane néerlandaise. Il s’est installé à Québec où il est devenu marchand et propriétaire terrien.

Angelica Stuart et David Ross ont eu deux enfants appelés Charles William Ross (né vers 1792) et Angelica Ross (1794-1868). Cette dernière, nous verrons le plus loin, dans notre histoire, épousera le protestant John Graddon, né entre 1781et 1783.

Peu après le décès de son premier conjoint David Ross, survenu en 1810, Angelica Stuart Ross a épousé, en 1811, John MacNider (1760-1829) marchand de Québec, originaire d’Écosse.  MacNider appartenait à une des premières familles écossaises à s'établir à Québec, au début du Régime britannique. Ils possèdaient les seigneuries de Métis (Gaspésie) et de Bélair (Portneuf), des chantiers, des navires transocéaniques ainsi que cinq immeubles commerciaux dans la côte de la Fabrique. De par ce mariage, John MacNider s’enrichissait et devenait propriétaire d’un vaste domaine situé sur le chemin Saint-Louis, dans la partie ouest de Sillery qui correspond à l’ancien fief Monceaux  dont sa nouvelle conjointe, Angelica Stuart Ross, avait hérité de son père, Murdoch Stuart. John MacNider a d’abord fait construire sur ce domaine un peu avant 1815, une villa monumentale = élégante maison de pierre qu’il avait baptisée « New Kilmarnock », en souvevir de son village natal. Quelques années  plus tard, MacNider a subdivisé sa propriété et fait construire une nouvelle résidence à proximité de la villa qui s’appellera, éventuellement, maison Bignell.

Suite aux décès de John MacNider et de son épouse, Angelica Stuart Ross, survenus tous deux en 1829, c’est Charles William Ross (né vers 1792), marchand et Commissaire pour le Chemin de la Grande-Allée, le fils issu du premier mariage d’Angelica Stuart Ross, qui est devenu brièvement  propriétaire du domaine. Charles William Ross à la même époque (1829) où il se séparait de son épouse Annabella Stuart. Le domaine est ensuite passé aux mains de la sœur de Charles William, Angelica Ross, et de son conjoint John Graddon (1783-1830). Celui-ci s’était installé à Québec au début du XIXe siècle, était devenu marchand drapier et encore tout jeune, il avait épousé Angelica Ross (1794-1868) vers 1912.

 

Noyer hybride-Kilmarnock, photo Claire Morel, Enracinart
Noyer hybride-Kilmarnock, photo Claire Morel, Enracinart
Noyer hybride-Kilmarnock, photo Claire Morel, Enracinart
Noyer hybride-Kilmarnock, photo Claire Morel, Enracinart

Une quinzaine d’années après son mariage, John Graddon était déjà père de 5 enfants et avait pris bien du galon : il était devenu inspecteur des mâts et avait été successivement été nommé par Lord Dalhousie, en 1824 et en 1827, Enseigne du 3ème Bataillon de milice de Québec puis Lieutenant du 5ème bataillon du comté de Québec. Il n’a cependant pas profité très longtemps de sa position honorifique et du domaine Kilmarnock dont il avait hérité par alliance, car il est décédé peu après, en février 1830. En prévision de son départ, John Graddon avait institué sa femme, Angélica Ross, tutrice de ses enfants : «Angélica âgée de dix-huit ans, David John âgé de seize ans, Amélia âgée de quatorze ans, Caroline âgée de douze ans, Charles-Stuart âgé de neuf ans et William Arban (il signera plus tard Urban) âgé de cinq mois », à peine. La veuve de John Graddon a donc élevé en partie sa famille, seule, sur le domaine Kilmarnock.

Angelica Ross a quitté ce monde en 1868, près de 40 années après le décès de son conjoint John Graddon. C’est leur fille Amélia Graddon qui est devenu, à ce moment-là, en 1869, la principale héritière du domaine Kilmarnock avec ses frères Charles-Stuart Graddon (1820-1907) et William Urban Graddon (1829-1904), devenu arpenteur, une quinzaine d’années auparavant.

Pour sa part, Charles Stuart Graddon, qui était marchand de bois, avait épousé Frances Brondgeest (1836-1919) avec laquelle il a eu cinq enfants : l’aînée, Emmeline Julia Graddon, née en 1855;

Charles Brondgeest Graddon, né en 1858; John Wilkie Graddon (1863-1888), décédé tout jeune, à l’âge de 25 ans; Frederick Stuart Graddon, né en 1866 et la petite dernière, Frances Amelia Graddon, née en 1873.

À son tour, Emmeline Julia Graddon avait épousé, vers 1888, William Albert Bignell, arpenteur-géomètre, le fils de John Bignell, l’arpenteur-géomètre qui avait exploré l’Ouest canadien avec son oncle, William Urban Graddon, en 1880.  Emmeline et William Albert Bignell ont élevé au moins trois fils. Toute cette famille vivait sous le même toit, lors du recensement pan-canadien de 1901, avec les parents d’Emmeline Julia Graddon, Charles Stuart et Frances Graddon, ainsi que sa petite sœur, Frances Amélia Graddon (1873-1963).

Le 30 juin 1929, à la veille du krach boursier américain et de la Grande Dépression des années 1930, les enfants de Charles Stuart Graddon et de Frances Brondgeest ont réalisé une première transaction d’envergure impliquant le domaine Kilmarnock et,plus particulièrement, les subdivisions de ses lots où se trouvaient la manoir Kilmarnock et la maison Bignell. Emmeline Julia, avec l’assentiment de son conjoint William Albert, Charles Brondgeest et Frederick Stuart tous deux marchands de bois et résidant respectivement à Montréal et à Newport, Tennesse et leur petite sœur, Frances Amelia Graddon, ont vendu cette portion de la propriété familiale à monsieur Oscar Alphone Bériau (1883-1947) un chimiste industriel et une, spécialiste du tissage et de la teinturerie domestique, qui a fondé l’année même, l’École des Arts domestiques du Québec, rattachée au Ministère de l’Agriculture. Monsieur Bériau, son épouse Marie-Elizabeth Couture et leurs 7 enfants semblent avoir habité sur ce site durant sept ou  huit ans. Par la suite, diverses autres transactions ont jalonné l’histoire de cette portion du domaine Kilmarnock et certains descendants Bignell sont revenus, tour à tour, y vivre jusqu’à il y a environ 35 ans.

En ce qui concerne la portion du domaine où se trouve le remarquable noyer noir hybride de la famille Graddon, elle a été vendue  quelques années après la première, soit le 2 novembre 1932.. Encore une fois, c’est Emmeline Julia Graddon (1855-1938) qui a réalisé, avec l’assentiment de son époux et en présence de sa petite sœur Amélia Frances, cette importante transaction impliquant le domaine Kilmarnock où ont vécu 6 générations des familles Stuart, Ross, Graddon et Bignell. Elle a  vendu par procuration, au nom de son frère Frederick Stuart Graddon (1866-1936) un marchand de bois retraité, vivant à Newport dans l’état du Tennessee, aux États-Unis, une bonne partie du lot 3-E de la paroisse Saint-Colomb de Sillery  à un trio d’acheteurs: messieurs Robert Clark Hastings et James Munro Elliott, médecins de l’ancien hôpital Jeffery-Hale, et Douglas Taylor.

Noyer hybride-Kilmarnock, photo Claire Morel, Enracinart
Noyer hybride-Kilmarnock, photo Claire Morel, Enracinart

Deux ans plus tard, le 5 mars 1935, Robert Clark Hastings a épousé Grace Muriel Parmelee, une des quatre filles du docteur William George Parmelee (1860-1941) et de Mary-Louise Foss (1863-1937), tous deux originaires de Waterloo, dans les Cantons-de-l’Est. Formé à l’école normale McGill, William George Parmelee a été un personnage très en vue de Québec où il a  élevé sa famille et entre autres occupé le poste de directeur du Conseil de l’éducation protestante de la province de Québec, de 1891 jusqu’à se retraite, en 1930. Il a également présidé la Literary and Historical Society of Quebec (1908-1909, 1917-1918)

À compter de leur mariage, semblerait-il, Grace Muriel Parmelee et Robert Clark Hastings ont occupé ou loué, pendant plus d’une quinzaine d’années, une  vaste résidence qui voisinait intimement le remarquable noyer noir hybride de la famille Graddon. Suite au décès de monsieur Robert Clark Hastings, en mars 1952, sa veuve Grace Muriel Parmelee qui était habituée à un certain train de vie, s’est retrouvée tout à coup « fort dépourvue ». Elle s’est empressée de revendre, dès juillet 1954, certains lots du domaine Kilmarnock dont son époux avant fait l’acquisition avec ses deux associés, en 1932.

Après cette vente de 1954, les transactions relatives à l’ancienne propriété du docteur Robert Clark Hastings se sont succédées, durant une trentaine d’années, sans que jamais ne soit mise en péril, fort heureusement, l’existence du remarquable noyer noir hybride de la famille Graddon ! Ce noble et vénérable feuillu doit sans doute, en grande partie, sa survie et l’atteinte de ses cent ans, à un couple de propriétaires qui l’ont chéri lorsqu’ils ont occupé les lieux, au cours des décennies 1980, 1990, 2000 et 2010.

De nos jours, le remarquable noyer noir hybride de la famille Graddon est encore bien… vivant.

Il appartient au précieux patrimoine horticole du site patrimonial (arrondissement historique) de Sillery! Cependant, on le voit sur ces quelques clichés, on l’a grandement amputé au fil des ans et ce, tout probablement, de façon exagérée. L’énorme tronc et la charpente massive de ce colosse noyer qui se sont développés aux abords de la résidence, ont sans doute effrayé plus d’un propriétaire des lieux…À présent, nous devons craindre pour la survie de notre arbre patriarche : le remarquable noyer noir hybride de la famille Graddon!

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