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Lâart de lâicĂŽne, un lien entre le divin et le monde terrestre
Pour notre avant-derniĂšre capsule avant les vacances, nous avons pensĂ© vous faire dĂ©couvrir un art peu courant chez nous, mais qui fait partie de la vie courante de millions de personnes. Nous profitons de lâexposition ParolicĂŽne Ă lâĂ©glise de Saint-Michel Ă Sillery pour vous faire connaĂźtre un art majeur peu connu, celui de lâicĂŽne.Â
Les origines des icĂŽnes
MĂȘme si lâart de lâicĂŽne est prĂ©sent dans la culture catholique et chez certains protestants, câest dans la partie orientale de la chrĂ©tientĂ© quâelle va sâĂ©panouir. Son origine se trouve dans la nuit des temps, Ă lâĂ©poque oĂč les groupes dâhumains habitaient et cĂ©lĂ©braient leur culte dans des grottes. Les peintures rupestres et pariĂ©tales font leur apparition avec les premiĂšres manifestations artistiques humaines lors de la PrĂ©histoire, puis Ă©volueront selon les lieux et la culture des populations concernĂ©es. Mais câest au tout dĂ©but de lâĂšre chrĂ©tienne que vont se fixer les rĂšgles de lâĂ©criture des icĂŽnes. Entendons-nous dĂšs le dĂ©part : lâicĂŽne est un art Ă part avec son propre langage. On ne peint pas une icĂŽne, on lâĂ©crit. Il y a mĂȘme toute une grammaire (langage des images) pour caractĂ©riser la symbolique de chacune des reprĂ©sentations. Ainsi, lâartiste qui crĂ©e des icĂŽnes nâest pas un peintre, mais un Ă©crivain dâicĂŽnes.
Au dĂ©part, mĂȘme si elles sont une des caractĂ©ristiques des Ăglises dâOrient (tant orthodoxes que grĂ©goriennes, nestoriennes, jacobites ou coptes), lâicĂŽne est prĂ©sente dans toutes les communautĂ©s chrĂ©tiennes. Deux types dâicĂŽnes existent alors : lâicĂŽne pariĂ©tale (sur les murs des catacombes) et lâicĂŽne personnelle (miniature). Le premier Ă©crivain dâicĂŽnes, selon la tradition orthodoxe, serait lâĂ©vangĂ©liste Luc. Mais câest dans les catacombes de Rome, dans les deux siĂšcles suivants que va se dĂ©velopper cet art. Elles servent Ă garder en tĂȘte, dans la clandestinitĂ©, les principales caractĂ©ristiques de la religion nouvelle. On peint les murs avec des reprĂ©sentations des passages importants de la Bible (ce qui va donner en Occident le dĂ©cor romanâ; et en Orient les iconostases ou cloisons dâicĂŽnes). Assez rapidement, au IVe siĂšcle, lâĂglise latine va poser un regard critique sur cette forme dâart alors quâil va se dĂ©velopper dans le monde byzantin (ce qui sera plus tard lâĂglise orthodoxe).
Au VIe siĂšcle, Ă lâimage des portraits de Fayoum (sarcophages Ă©gyptiens : des portraits des dĂ©funts sont insĂ©rĂ©s dans les bandelettes de la momie au niveau de la figure du dĂ©funt), va se dĂ©velopper tout un langage religieux autour des icĂŽnes. La plus ancienne icĂŽne byzantine connue est celle du Christ pantocrator qui se trouve au monastĂšre Sainte-Catherine-du-SinaĂŻ et datant du VIe siĂšcle. Elle a passĂ© les Ă©preuves du temps, rĂ©sistant Ă la crise des iconoclastes (VIIIe au IXe siĂšcle), Ă lâinvasion musulmane, aux Croisades, etc. On y voit la premiĂšre caractĂ©ristique, la reprĂ©sentation de face. Comme toutes les icĂŽnes byzantines, elle est Ă©crite sur un support de bois et recouverte de fines couches de feuilles dâor ou dâargent, mais aussi de la peinture Ă lâencaustique (couleurs dĂ©layĂ©es Ă chaud dans la cire, puis Ă©tendues sur la surface choisie). Câest aussi Ă cette Ă©poque que sâĂ©crivent les premiĂšres rĂšgles [de grammaire] de cet art : positions des cops et visages, proportions, couleurs, usages. Tout est fait selon des rĂšgles [ou grammaire].
Au VIIIe et au IXe siĂšcle, lâEmpire romain dâOrient est pris dans le tourbillon de la crise iconoclaste. Partout dans lâEmpire, mais principalement Ă Constantinople [maintenant Istanbul], les Ă©missaires de lâEmpereur et du patriarche vont dĂ©truire et bruler les icĂŽnes Ă cause dâune dĂ©votion qui devient presque paĂŻenne. Quelques rares piĂšces rĂ©sistent malgrĂ© tout Ă la destruction et lâĂ©criture des icĂŽnes continue, clandestinement, dans les campagnes reculĂ©es de lâEmpire. Ă la fin de cette pĂ©riode, lâĂ©criture de lâicĂŽne aura trouvĂ© ses standards et ses rĂšgles.
InspirĂ©e de la dĂ©votion antique des Grecs, se dĂ©veloppe alors un art complexe de lâicĂŽne. Toute la thĂ©ologie de la reprĂ©sentation se concentre dans la figure du personnage reprĂ©sentĂ©Â : toute la spiritualitĂ© passe par la reprĂ©sentation du visage. Les yeux deviennent la reprĂ©sentation de lâĂąme par laquelle passent toutes les vertusâ; la vivacitĂ© des personnages permet de mieux reprĂ©senter leur caractĂšre exemplaireâ; le modelage reste naturalisteâ; les figures sont Ă plat et les vĂȘtements sont caractĂ©risĂ©s par un drapĂ© rigide et sĂ©vĂšre.
Si on associe lâicĂŽne Ă Byzance, il faut aussi comprendre lâĂ©tendue de lâinfluence de Constantinople dans le monde de lâĂ©poque : une partie de lâItalie (Venise, Ravenne, la Sicile, les Pouilles) est encore liĂ©e Ă lâEmpire romain dâOrient. Câest pour cette raison quâon y trouve certaines icĂŽnes anciennes, mais aussi des appellations typiquement orientales. Par exemple, lâĂ©vĂȘque de Venise est un patriarche, tout comme les Ă©vĂȘques orientaux. Aussi lâimportance du dĂŽme remplace celle, tout occidentale, du clocher ou du campanile.
MalgrĂ© les guerres qui vont marquer la rĂ©gion, lâart de lâĂ©criture de lâicĂŽne va se dĂ©velopper pendant les siĂšcles suivants, toujours avec cette influence majeure des Byzantins. Lorsquâarrive la crise du Grand Schisme dâOrient (1054), ou lâexpansion de ce qui deviendra lâorthodoxie (la voie droite en opposition au catholicisme ou la voie universelle), lâart des icĂŽnes aura su se standardiser dans un langage (symbolique) fin, rĂ©gi par une grammaire des plus complexes. Cet art sera tel que les Ă©crivains dâicĂŽnes ne suffiront souvent pas Ă la demande : Ă©glises, monastĂšres et chapelles vont sâaffronter pour exposer le plus grand nombre, mais aussi les plus prestigieusesâ; les individus voudront avoir dans leur maison de telles reprĂ©sentations des saints et du Christâ; les plus pieux et les plus riches voudront avoir avec eux de petites icĂŽnes miniatures qui les mettent en relation constante avec les saints.
Ă lâĂ©poque des croisĂ©s, lâOccident redĂ©couvre lâicĂŽne, supplantĂ©e sur son territoire par le dĂ©cor peint des Ă©glises, chapelles, monastĂšres et cathĂ©drales. Des ateliers sont alors crĂ©Ă©s en Terre sainte, afin dâunir la vision romane de lâimage Ă celle, byzantine de lâicĂŽne. Ces «ânouvelles icĂŽnesâ» sont vendues aux croisĂ©s et Ă ceux qui sâinstallent en Terre sainte. Elles font le pont, de façon trĂšs temporaire, entre la chrĂ©tientĂ© dâOrient et celle dâOccident. AprĂšs la pĂ©riode des Croisades, les ponts sont de nouveau rompus. Pendant la pĂ©riode du trecento (les annĂ©es 1300, la premiĂšre pĂ©riode de la Renaissance), lâart de lâicĂŽne continuera Ă trouver sa place dans lâĂglise catholique, alors que pendant ce mĂȘme siĂšcle, il se transforme en Orient. Mais Ă partir du Quattrocento, la rupture est de nouveau consommĂ©e. LâOccident catholique entre dans lâĂšre des grandes fresques et peintures, alors que lâOrient orthodoxe sâisole par lâimportance de la prĂ©sence des musulmans et Turcs sur son territoire.
Ă partir de la seconde moitiĂ© du XIVe siĂšcle, la tradition de lâicĂŽne se dĂ©place tranquillement vers la Russie en pleine expansion alors que lâĂ©tau turc se referme sur Constantinople. Ă partir de la prise de Constantinople par les Turcs (1453), lâĂ©criture dâicĂŽne va Ă©voluer de façon indĂ©pendante dans plusieurs rĂ©gions : Russie, Empire ottoman, Balkans, etc. Avec les guerres dâindĂ©pendance, lâart de lâicĂŽne connaĂźt une renaissance en GrĂšce et en Bulgarie, alors quâen Russie, la production continue de prospĂ©rer.
Exposition :
Mireille Ăthier. Exposition ParolicĂŽne, exposition des icĂŽnes de Gilberte Massicotte Ăthier. Ăglise de Saint-Michel de Sillery, 170, cĂŽte de Sillery
Lieux :
Ăglise orthodoxe grecque de lâAnnonciation. 17, boulevard RenĂ©-LĂ©vesque Est QuĂ©bec
Paroisse orthodoxe de la Sainte-Trinité de Québec. 945, avenue de Bienville Québec
Ăglise copte orthodoxe de la Vierge Marie. 2160, rue Marie-Victorin QuĂ©bec
Communauté orthodoxe Saint-Hilaire-de-Poitiers. 2960, boulevard Masson Québec
Ăglise Saint-Charles-Garnier (mosaĂŻque de Notre-Dame-du-PerpĂ©tuel-Secours). Boulevard Laurier, coin du Chanoine-Morel
Livres sur le sujet :
Alfredo Tradigo. Comment regarder les icĂŽnes et saints dâOrient. Paris, Hazan, 2020
Line Evequoz. Le carnet du peintre dâicĂŽnes. Lausanne, LEP, 2007 (enfants)
Moine GrĂ©goire. Carnets dâun peintre dâicĂŽnes. Lausanne, LâĂge dâHomme, 2019
Romans
Catherine Hermary-Vieille. Les exilés de Byzance. Paris, Albin Michel, 2021
Metin Arditi. Lâhomme qui peignait des Ăąmes. Paris, Grasset, 2021
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