Noël Negabamat

Votre capsule historique hebdomadaire : Noël Negabamat !

Avant 1977, très peu de gens avaient entendu parler d’un personnage qui donnera en 1977 le nom à une nouvelle rue de Sillery donnant sur la côte à Gignac. Issue du démembrement du domaine Kilmarnock, la rue Negabamat a pour origine le nom d’un chef autochtone de la Nouvelle-France.

Tekouerimat (Celui qui se souvient des siens), de son nom à la naissance, naît vers 1600 dans la région de Québec. Issu d’une illustre famille de guerriers innus installés où sera fondé quelques années plus tard Québec. Lorsque les jésuites s’installent à Kemisk8a-8angachi, son frère Chomina était chef du petit groupe innu. Tekouerimat est un des premiers Autochtones à s’établir à la mission Saint-Joseph (ou réduction de Sillery) où il emménage, avec femme et enfants, dans l’une des deux maisons à la française qui se trouvent à l’intérieur de la mission. En plus de sa famille, il amène avec lui une vingtaine de personnes. L’autre maison à la française est occupée par un autre personnage important de la communauté innue de Québec, Negaskoumat.

Maquette de la Mission Saint-Joseph de Sillery. Wikipédia

Le 8 décembre 1638, probablement à Sillery, mais inscrit dans les registres de Québec, Tekouerimat se fait baptisé sous le nom de Noël (en l’honneur du financier de la mission de Sillery, Noël Brulart de Sillery) Negabamat. La veille de Noël 1639, son épouse se fait baptiser sous le nom de Agnès (ou Marie, Madeleine). Le mariage, non enregistré dans les registres de Québec ou de Sillery, devait avoir eu lieu quelque temps avant ou après. Dans les registres de la mission Saint-Joseph de Sillery, Noël Tekouerimat et Noël Negabamat sont mentionnés 12 fois. Une seule fois sous le nom de Negabamat, les autres sous celui de Tekouerimat. De son côté, Agnès Apitchime apparaît 6 fois comme marraine. C’est donc dire que le couple fut très important dans la conversion des Autochtones de Sillery. Les registres paroissiaux mentionnent le baptême de deux enfants du couple, soit Marie-Madeleine (à Sillery, le 8 avril 1641) et Charles (à Sillery, le 5 mai 1644). Lors de l’épidémie de petite vérole à la mission de Sillery en 1639, contrairement à son ami le chef Negaskoumat qui en décède, il évite la contagion.

En fait, Noël Negabamat est le premier Autochtone d’importance à demander le baptême, ce qui lui permettra de jouer un rôle important dans les relations entre Autochtones et Français. En plus d’être le parrain de nombreux néophytes, il servira d’ambassadeur auprès des autres Nations autochtones, soit pour leur conversion, soit afin de signer des alliances avec les Français. C’est ainsi qu’il fait partie, en 1645, de la délégation chargée de signer la paix entre les Iroquois et le groupe des Français, Hurons et Algonquins. L’année suivante, il convainc les Abénakis (Waban-Aki) de faire venir le missionnaire jésuite Gabriel Druillettes afin de les enseigner dans la religion chrétienne. Mais en 1648, la paix signée avec les Iroquois ne tient plus et Noël Negabamat part, avec d’autres guerriers innus, à la défense de Trois-Rivières.

Illustration d’une famille innue,
https://comte-argenteuil.com/ACLSA.htm

À partir de 1647, Negabamat est rarement chez lui à Sillery. Habillé comme un Européen, il sert d’ambassadeur lors de nombreuses missions de paix ou de conversion. Ainsi, il sera de l’ambassade auprès des peuples du Bas-Saint-Laurent (Malécites/ Wolastoqiyik et Micmacs/ Mi’gmag), puis de la délégation chargée de traiter avec Tessouat (chef des Algonquins/ Anicinapemi8in du lac des Deux-Montagnes). En récompense de ses services, il reçoit un droit de chasse exclusif aux environs de Tadoussac. En 1650, il est de la délégation qui se rend dans la région de Boston et de Plymouth afin de convaincre les Socoquis, les Pennacooks (tous deux de la famille de Waban-Aki) et les Mohicans de s’allier aux Français et de se convertir au catholicisme.

Selon ses contemporains français, Noël Negabamat Tekouerimat est l’exemple de la réussite de l’évangélisation des Autochtones. Dans les relations des jésuites, le père Lejeune qu’il considère comme un ami (et qui fut son parrain) le décrit comme un homme « beau, bien fait, puissant orateur, intelligent et chrétien exemplaire ». Mère Marie de l’Incarnation lui donne même le qualificatif de « vrai saint ». Madame de la Peltrie l’estime assez pour être la marraine lors du baptême de sa fille Marie-Madeleine à Sillery le 8 avril 1641. De plus, lors de la procession de la Fête-Dieu de 1665 à Québec, il est porteur de dais, ce qui démontre l’estime qu’avait l’administration religieuse de la colonie. Pour ce qui est de l’administration coloniale, il est désigné comme « le plus ancien des chrétiens », ce qui lui donne une place de choix dans la délégation qui accueille le lieutenant-général de la Nouvelle-France, Alexandre de Prouville de Tracy.

Bon orateur et bon conteur, il est analphabète (contrairement à sa fille qui a étudié chez les Ursulines), ce qui ne l’empêche pas de dicter la description de son voyage à Boston et à Plymouth. Ce récit est dédié au Père Lejeune, alors en France, qui lui envoie en guise de remerciement, une robe tissée d’or. Se décrivant lui-même comme « quasi français », il reste à s’interroger s’il est le fruit d’une rapide acculturation ou tout simplement le lien entre une civilisation anciennement implantée sur le territoire et le pouvoir français en Nouvelle-France.

 

Bibliographie

DUSSAULT, Clément-T. Guide toponymique de Sillery. Sillery, service des archives de Sillery, 1985.

MONET, Jacques. « Negabamat », Dictionnaire biographique du Canada. Université Laval / University of Toronto, 1986.

SAVARD, Rémi. « La réduction de Sillery 1638-1660 », Recherches amérindiennes au Québec. Vol 38, No 2-3 (2008), p. 127-131

SAVOIE, Sylvie et Jean TANGUAY. « La présence abénaquise sur la rive nord du Saint-Laurent aux
XVIIe et XVIIIe siècles », Recherches amérindiennes au Québec. Vol. 33, No 2 (2003), p. 29-43

VILLE DE QUÉBEC. « Negabamat », Fiche toponymique, https://www.ville.quebec.qc.ca/citoyens/patrimoine/toponymie/fiche.aspx?idFiche=2686