Le thé victorien

Votre capsule historique hebdomadaire : le thé victorien !

Le thé victorien, comme instant de la journée, non comme produit de consommation, est l’aboutissement d’une longue transformation du Royaume-Uni et de ses institutions. Même si l’habitude de consommer du thé débute au XVIIe siècle, ce n’est que sous le règne de la reine Victoria que sa consommation, dans l’aristocratie et la bourgeoisie, va se codifier. De simple breuvage chaud, le thé devient alors un moment de transition entre le repas du midi (qui n’existe alors que pour les classes aisées) et le repas du soir. Plus qu’une collation, ce temps devient un moment où la sociabilité devient un élément caractéristique d’un groupe. 

En Europe, l’histoire du thé débute au XVIIe siècle lorsque les bateaux en provenance de Chine apportent des cargaisons, minimes pour commencer, plus importantes rapidement de feuilles séchées à infusées. Un des derniers pays à importer les feuilles de thé est l’Angleterre. Si la Compagnie des Indes orientales reçoit la permission d’importer du thé en 1600, d’obscures raisons politiques font que les premières cargaisons sont déchargées dans les ports anglais qu’à partir de 1670. Déjà, en France, le thé était devenu une boisson «à la mode» et l’usage d’y mettre du lait avait été introduit à la cour de Louis XIV par la marquise de la Sablière. 

En mai 1662, le roi Charles II d’Angleterre épouse Catherine de Bragance, fille des souverains portugais. À cette époque, le thé, comme boisson chaude, est déjà adopté dans la péninsule ibérique. Elle va donc apporter en Angleterre l’habitude de boire du thé, favorisant une politique permettant l’importation du thé. Mais il faudra attendre l’avènement de la reine Victoria pour que le thé devienne plus qu’un breuvage, mais une étiquette ou un cérémonial. 

Le 20 juin 1837, le Royaume-Uni perd un roi (Guillaume IV) et gagne une reine, Victoria 1re. Victoria, lors de son accession au trône britannique n’a que 18 ans, âge légal au Royaume-Uni pour régner. Trois ans plus tard, elle mariait son cousin germain, le Prince Albert de Saxe-Cobourg et Gotha. Ensemble, ils eurent neuf enfants qui se marièrent avec les descendants des principales têtes couronnées d’Europe. C’est ainsi qu’à sa mort, presque tous les souverains d’Europe étaient soit des conjoints d’un de ses enfants, soit un enfant d’un de ses enfants. Trois ans après la naissance de son dernier enfant, Béatrice (qui se mariera avec Henri de Battenberg, donc grand-mère de la famille des Mountbatten), son époux, le Prince Albert décède de fièvre typhoïde. 

C’est pendant le règne de la reine Victoria que le Royaume-Uni deviendra la force coloniale qu’on lui connaît. Après la révolte des cipayes (Indes, 1857), le vaste territoire que la Compagnie des Indes orientales gouvernait est intégré à la couronne britannique. En 1876, Victoria devient impératrice des Indes. Son empire alors ne voit jamais le soleil se coucher puisqu’il comprend des territoires coloniaux en Océanie (Australie et Nouvelle-Zélande), Asie (Birmanie, Indes, Hong Kong), en Afrique (Égypte, Soudan, Kenya, Malawi, Ouganda, Zambie, Rhodésie, Afrique du Sud, Nigéria, Ghana, Sierra Leone, Gambie), en Europe (Angleterre, Écosse, Pays de Galles, Irlande, îles anglo-normandes), en Amérique (Canada, Guyane britannique, Bélize et Caraïbes). 

Five O’Clock Tea. Julius Leblanc Stewart, 1883-84 (Collection privée Philadelphie)

Mais c’est aussi alors que Victoria est la souveraine britannique que la bourgeoisie et l’aristocratie britannique vont assister à un essor considérable et dicter au monde sa façon de vivre. Ainsi naît, entre autres, le Afternoon Tea. Les codes et les usages du thé vont s’imposer dans le monde britannique, puis se révéler dans les autres régions du monde. L’Afternoon Tea est un temps de pause, dans la journée où il est possible de se sustenter, après un important repas du midi et avant un tardif repas du soir. Ainsi naît la tradition du thé de cinq heures (le Five O’Clock Tea). La tradition mentionne que c’est la duchesse de Bedford qui introduit cette pause à la mi-journée. Habituée de ne prendre qu’un tardif petit-déjeuner et un souper en soirée, elle a besoin d’une collation vers 17 h. Elle convie alors amis et famille autour d’une table où se trouve un buffet comprenant sandwiches et pâtisseries. Rapidement chacun de ces mets devient bouchée. Contrairement à la mode qui était alors de servir du café, c’est le thé qui devient le breuvage à cette occasion. En très peu de temps, cette activité devient tradition et se répand au point où même la reine Victoria s’y adonne. Il faut dire que pour Victoria et Albert, la famille est un élément important. 

Dans le thé victorien, tout est codifié et tout tient d’un cérémonial particulier. Tout est pensé et doit être respecté. Tasses, théières, assiettes et plateaux sont en porcelaine. L’argenterie pour les théières est acceptée pour ne pas dire tolérées. Les tables sont recouvertes de jolies nappes avec des serviettes assorties. Afin de laisser aux feuilles de thé le soin de donner tout leur parfum, les théières sont réchauffées (à l’eau chaude) avant d’y mettre l’eau tout juste frémissante et les feuilles de thé. Lorsque les feuilles de thé sont mises directement dans la théière, la proportion est d’une cuillerée de feuilles par tasse, puis une pour la théière. Après 3 à 5 minutes, il est possible de verser l’infusion. Les thés utilisés sont des thés noirs comme le Darjeeling, le Earl Grey et l’Orange Pekoe. 

La collation se divise également entre bouchées salées et bouchées sucrées. Les bouchées salées sont constituées de sandwiches au pain de mie, avec beurre, dont les croutes ont été enlevées (après la confection du sandwich) et coupés en quatre triangles. On y met concombre ou asperges. Ce sont aussi les scones (servis avec marmelade ou confiture) et les cakes. Pour les bouchées salées, ce sont des brioches, des éclairs, des sablés, des cakes sucrés ou quatre-quarts (pound cake). 

Pendant le thé, différentes activités sont possibles. C’est alors qu’on ouvre les tables de jeu (cartes, jacquet, dés), qu’on fait venir des conférenciers ou des musiciens. Mais l’activité la plus importante est la discussion. Puisque généralement ce sont les dames qui participent au thé, il n’est généralement pas question de discuter de sujets qui pourraient être offensants. Ainsi, exit la politique, la religion, l’argent et le sexe. À moins que ce ne soit pour commérer! 

 

Bibliographie : 

Alan Rayburn et Caroline Harris. «Victoria», Encyclopédie canadienne, https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/victoria-8 

Voyages Bergeron. La tradition du Five O’Clock Tea. https://www.passionmonde.com/blogue/la-tradition-du-five-oclock-tea/ 

Guillaume Devaux. Brève histoire du thé en Angleterre. https://www.auparadisduthe.com/blog/the-angleterre-histoire/ 

Jane Pettigrew’s. Tea Time. Paris, Éditions Chêne, 1989.